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lundi 28 février 2011

Relais, pivots et retours (3) : les consoles

Ici, le canal français - votre serviteur - est en train de travailler: on voit le signe + devant FR

Jamais deux sans trois, dit le dicton populaire. Voici donc le troisième et dernier volet de cette série *). Lorsqu’un interprète ne comprend pas la langue parlée dans la salle, il doit chercher un relais dans une autre cabine. Pour cela, il doit manier sa console, dont il existe différents modèles. Les anciens équipements ont des boutons avec des langues pré-programmées qui s’enfoncent bruyamment (ONU, BIT). Fort heureusement, il suffit de nos jours d’une légère pression du doigt pour activer le canal de la langue-pivot, que l’interprète programme selon son choix. Personnellement, je mets toujours les langues que je prends en relais dans le même ordre (DE, EN, ES, FI), car tout automatisme permet d’économiser ses efforts. Dès que l’orateur parle une langue que je ne comprends pas – le russe, l’arabe, le polonais – je choisis le canal anglais ou allemand, selon le cas. Il est plus rare que je me branche sur l’espagnol et encore plus rare que je choisisse le finnois, non pas que ces langues me plaisent moins, mais simplement parce qu’il est rare que la cabine finnoise offre le grec ou le portugais.

La manipulation mécanique de boutons se situe probablement dans une autre partie du cerveau que l’analyse d’une langue et du message qu’elle véhicule, car on a vite fait de commettre une erreur de manipulation. Il arrive souvent qu’on oublie d’allumer le micro, puisqu’on a déjà activé un bouton pour choisir le canal du relais. L’inverse arrive aussi, à savoir qu’on oublie soit de se remettre sur floor (la langue originale) soit d’éteindre le micro. Et gare au désir irrépressible de dire tout ce qu’on pense de ce qu’on vient d’entendre ! A l’ère d’internet et de YouTube, ce genre de boulette devient très vite un buzz, comme cela a récemment été le cas avec la cabine française au Parlement européen.

Ceci n'est PAS une console du Parlement européen!

Les interprètes des cabines qui font un retour (prenons l’exemple de l’arabe) doivent, quant à eux, enclencher le bouton ou la manette qui permet à leur voix de sortir sur le canal p.ex. anglais, car autrement ils ne parleront cette langue qu’aux seuls arabophones. Une fois leur retour terminé, ils ne doivent pas oublier de revenir au canal de leur langue (l’arabe, dans le présent exemple) s’ils ne veulent pas abreuver ceux qui écoutent l’anglais d’une langue qui leur paraîtrait être de l’hébreu. Ceux-ci pourront alors dire : It’s all Greek to me !


Les anciennes consoles ont parfois le micro fixé au casque, ce qui est bien pratique, puisque cela permet de farfouiller dans son sac ou de ramasser un stylo tombé par terre sans s’interrompre. Oui, les interprètes sont capables non seulement d’écouter et de parler en même temps, mais aussi de demander quelque chose à leur concabin en langues des signes. J’ai même vu une collègue faire de la broderie tout en interprétant, ça l’aidait à se concentrer. De nos jours, la plupart des interprètes ont leurs propres écouteurs #), en général des Bang & Olufsen, qui jouissent d’une très grande popularité. La qualité du son est réputée excellente, mais ces accessoires sont fragiles. On a aussi vite fait de les perdre et ils ne sont pas exactement bon marché.

Les consoles sont toutes équipées d’un bouton-toussoir, dont il vaut mieux se méfier, une défaillance technique étant toujours possible. A n’utiliser qu’en cas de chat dans la gorge. Pour les médisances ou les coups de gueule, il est recommandé de fermer le micro. Se méfier aussi d’un journal posé négligemment sur les boutons : un micro allumé quand il ne faut pas, ça n’arrive pas qu’aux autres… Le bouton-toussoir est plus agréable pour le "client" qui nous écoute, car il n’a alors que le silence dans son oreillette. Toutefois, lorsqu’il y a des applaudissements ou des rires, il vaut mieux fermer le micro, pour que nos auditeurs – y compris les procès-verbalistes et ceux qui nous écoutent éventuellement sur internet, ce qui est de plus en plus fréquent – aient l’ambiance de la salle en direct live.

Selon une anecdote qui circule dans la profession, deux interprètes faisant une séance où il ne fallait allumer le micro que de temps en temps (votes, rédaction ou autre) avaient commis cette négligence regrettable qui faisait que leur micro était ouvert quand il devait être éteint et vice versa. Entre deux interventions, l’un donnait une recette de cuisine à l’autre : " … et alors tu ajoutes les œufs, les uns après les autres – qui est pour ? – puis tu verses le beurre fondu – contre ? – et ensuite, tu mets le sucre – abstentions ? – puis les amandes moulues." Un délégué aurait alors demandé : "Et on fait cuire combien de temps et à quelle température ?" Se non e vero, e ben trovato !
Console au BIT (1974, aucune modernisation depuis !), les boutons à enfoncer correspondent aux langues qu’on peut entendre dans les écouteurs : 1 floor, 2 anglais, 3 français, 4 espagnol, 5 russe, 6 allemand, 7 arabe, 8 japonais

Texte paru dans la revue Hieronymus (mars 2011), www.astti.ch

*) http://tiina-gva.blogspot.com/2010/09/relais-pivots-et-retours-1.html
http://tiina-gva.blogspot.com/2010/12/relais-pivots-et-retours-2.html

#)
http://tiina-gva.blogspot.com/2010/05/chacun-ses-ecouteurs.html

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